(L'histoire se déroule dans une Alger blanche, ou plus exactement à la Place Square Port Saïd connue pour son marché informel de change. Le TNA (Théâtre National d'Alger) témoigne d'une faible attirance qu'ont les algériens pour la culture, et les pièces théâtrales se font rares. Le cafétéria Tonton Ville, quant à lui, existe toujours, et ce charme qui l'accompagne perdure. Cependant le cafétéria choisi se trouve dans la rue parallèle au front de mer, plus modeste, plus bruyant et sans terrasse.)Dans un consulat
d'Algérie à
Lyon,
bruno, qui venait d'avoir son diplôme à l'école national des beaux-arts, venait de sortir son visa à la main et s'apprêtait à rejoindre l'autre rive de la méditerranée pour y passer un court séjour de neuf jours. Son visage ne témoignait pas d'une quelconque jubilation, loin de là, et si on pouvait apercevoir une légère excitation c'était sans doute dû au voyage, car l'idée d'être loin des siens, dans un pays étranger de surcroît, l'effrayait un peu. Ce n'était pas un hasard s'il avait choisi de visiter
l'Algérie juste après avoir eu son diplôme. Ses grands parents paternelles, qui étaient des pieds noirs (appellation qu'ils haïssaient d'ailleurs), ont été contraint de quitter
l'Algérie à son indépendance. Son grand père su lui peindre, depuis sa plus tendre enfance, cette
Alger qu'il connu jadis. De la rue
Debussy à Notre Dame
d'Afrique en passant par la rue
D'isly.
Bruno avait appris toutes ces rues et il imaginait, maladroitement, mais passionnément chaque recoin de cet endroit devenu pour lui enchanté, chaque centimètre de cette ville qu'est
Alger la blanche où avait grandit ses aïeux.
Après une journée en mer à côtoyer les dauphins il était arrivé à
Alger un Lundi après midi. Le ciel était bleu ce jour là, on était le 4 mai 2001. Jusqu'ici, les moyens mises à la disposition des étrangers pour les aider à se trouver dans cette jungle manquaient et il n'avait pas d'endroit où loger. Mais pour
Bruno c'était plus un défit qu'autre chose, il décida donc de visiter les rues
d'Alger tout seul. Après quelques heures de marche à pied, il songea à se désaltérer dans une cafétéria non loin du front de mer, au square Port
Saïd. Il y avait dans cette cafétéria un monde fou, la fumée de cigarette, elle, pullulait dans cette atmosphère bruyant. On entendait de temps à autre le son tonitruant des dominos claqués contre les tables par la main de bon nombre de personnes et de l'autre coté de jeunes étudiants qui s'esclaffaient après avoir eu une pénible journée d'étude. Déjà, dans cette salle étaient entassés tout sorte de gens, ça allait du musulman barbus vêtu d'un burnous à cet intellectuel habillé d'un imperméable noir et d'une écharpe grise.
Bruno s'approcha du bar et pris commande.
- Bonjour! Un coca s'il vous plaît, demanda
Bruno.
- Ah, désolé... Mais il n'y a plus de coca, répondit le barman.
- Pas grave, je prendrais ce qu'il y a de bien glacé.
-
N'gaous? Un jus?
- Va pour un
N'gaous.
C'était un homme trapu, au visage joufflu. Il portait un béret pour cacher sa tête chauve, les sourcils bien garnis et les moustaches luxurieuses jaunis par la cigarette. Il avait ce geste que tout serveur avait. Après qu'un client ait fini de boire il soulevait le verre ou là bouteille, ramenait son chiffon posé sur son épaule gauche pour ensuite essuyer brusquement les traces laissées sur le comptoir et le remettre à nouveau sur son épaule. Il pouvait refaire ce geste trois, quatre, voire cinq fois en une minute, mais il gardait toujours cette même énergie.
Bruno s'apprêtait à boire la dernière goutte quand le barman lui demanda:
- Vous venez de France?
- Oui. Justement vous ne sauriez pas où je pourrais me loger?
- Sans problèmes. Venez. Suivez moi.
Il but donc ce qu'il restait dans la bouteille cul sec, passa à la caisse et suivit le barman.
- Vous voyez le Théâtre là bas?
- Oui...
- Eh bien, la rue qui est à votre droite,
Bab Azoun, en la longeant vous y trouverez à votre droite l'hôtel
l'Europe. C'est le premier en partant du théâtre. Dites au propriétaire que c'est
M'barek,
M'barek le barman qui vous envoie.
- Merci bien, au revoir.
- Je vous en prie. Partez en paix!
Sur sa route il rencontra un drôle de personnage. Un homme assis sur un banc public, mal rasé aux vêtements usés, troués au niveau des genoux, et tenant en ses mains un bouquet de fleurs. Il donnait à manger à de pigeons idiots qui se bécotaient, quand soudain...Il devint agressif et les chassa tous.
Bruno, qui était sur le chemin de cet homme, sursauta et les regards des deux hommes se rencontrèrent. C'était un regard vide, penaud, triste... Les pigeons revinrent à terre pour finir ce qu'il leur est dû et, lui, revint sur ses pas puis s'assit. Enfin, un fou ça court les rues
d'Alger, ils n'ont pas d'endroit où aller et où qu'ils aillent il errent à jamais.
Bruno poursuivi son chemin en direction de l'hôtel tout en se retournant de temps à autre pour regarder cet être qui traînait sa déprime avec lui.
Il arriva donc devant cet immeuble après deux minutes de marche. On pouvait voir, avant de passer la porte de l'hôtel, ces arcades et ces
caryatides, héritage du colonialisme. Blanche au volets bleus, comme toute autres battisses qui jonchaient le sol
algérois. Avant même qu'il n'eut le temps de passer la porte une voix lui dit:
- Désolé, mais il n'y a plus de chambre vide pour aujourd'hui.
C'était le propriétaire de l'hôtel, un bien modeste hôtel. Il ne daigna même pas regarder la personne à qui il venait de parler. Il était écroulé dans sa comptabilité et son visage affichait un léger rictus. Sans doute, loger ces étudiant qui fuyaient le Sahel africain était bénéfique, surtout pour un si modeste hôtel.
- Excusez moi... Mais c'est
M'barek qui m'envoie, il a dit que...
- Ah! Mais il fallait le dire plutôt. Il y a une chambre qui vous conviendrait sûrement. Vous restez ici combien de nuits?
- Huit.
- Parfait, les repas ne sont pas compris dans le service.
- Pas grave, je me débrouillerai.
- Ça vous coûtera...quatre-vingts euros. Vous payez en espèce ou...?
- Cache!
- Bien! Suivez moi, c'est au premier étage.
Le proprio était grand et fort, il approchait la cinquantaine et des cheveux blancs commençaient à
apparaître sur sa chevelure. Un jean, un gilet et des chaussures marrons. Modeste, le bonhomme. C'est à croire que cet hôtel et lui ne formaient qu'un. Les marches de l'escalier étaient construit en bois, vermoulus, qui crépitaient à chaque pas que faisaient
Bruno et le propriétaire de l'hôtel. Les murs du couloirs étaient ternes et blanchâtres, résultat d'un mauvais entretien du bâtiment. Voilà qu'ils arrivaient enfin devant la porte de la chambre. Le propriétaire ouvrit la porte et lui céda les clefs de ce qui sera pour lui, pour ces huit prochaines nuits, un domicile. Pas de réelle surprise, la chambre était à l'image de tout le bâtiment, mais le lit était fait et les draps d'un blanc éclatant. Après le voyage et la marche qu'il eut,
Bruno, mit de coté le sac qu'il tenait et se laissa tomber sur son lit. Quelques secondes seulement lui fallut pour s'assoupir. Il était déjà dix-neuf heures quand on vint frapper à sa porte. Sur le coup il ne compris pas ce qui arrivait. Il peinait à se lever et avait les yeux a demi ouverts quand il appréhenda que le son provenait de la porte.
- Oui? Qui est ce?
-
Room-service.
La porte était à peine entrouverte quand il compris que cet homme n'était autre que ce fou à lier qu'il avait rencontré cet après-midi.
- Monsieur désire une couverture supplémentaire?
- Non...non...ça ira.
- C'est à vous de voir. Bonne soirée.
Ce gaillard s'en alla quand
Bruno lui demanda:
- Vous travaillez ici?
- Oui. Pourquoi vous demandez ça?
- Non, c'est juste que cet après midi je ne vous avais pas aperçu...
- Oui. J'étais sorti prendre l'air. Vous êtes sûr que vous ne prendrez pas une couverture?
- Non, non. Merci quand même.
Comment pouvait il être ce fou à lier la journée pour devenir cet être serviable la nuit? Se demandait
Bruno. Pour l'instant c'était le dernier de ses soucis. Il sortit du sac son agenda et l'ouvrit. Il était maculé de gribouillis. Des notes fusaient de toute part, des dessins, des noms de lieux ou de monuments, parfois même des schémas. Son séjour promettait d'être chargé et donc il planifia sa semaine pour mieux gérer ses déplacements. Il envisagea, pour peindre, de visiter Notre Dame
d'Afrique le lendemain. le mercredi, il songea à la Place de
l'Emir Abd Elkader. Jeudi, il pensait à peindre la Grande Poste et vendredi l'église de Sacré Cœur. Les autres jours, il prendrait des photos des gens, des endroit insolites et les scènes qui le marquaient. Voilà! Maintenant qu'il avait fini, il pouvait sortir dîner pour ensuite revenir et aller se coucher tôt, le lendemain sa journée sera chargée.
Au matin, les lueurs du soleils qui se glissaient à travers les volets le réveillèrent. Il regarda sa montre laissée sur la table de nuit, il était déjà neuf heures passées. Il prit donc sa toilette, s'habilla, prépara ses instruments et il quitta l'hôtel pour emprunter le chemin qui menait vers la basilique de Notre Dame
d'Afrique. Il n'avait qu'un seul bus à prendre et avant de partir il avait acheté un sandwich histoire de casser la croûte quand il aura faim.
Arrivé à la basilique, il choisit le meilleur endroit et s'installa pour prendre des croquis. Le soleil tapant de l'après midi venu, il entra à son enceinte et y dessina son intérieur. Ce chef-d'œuvre d'architecture fut construit au dix-neuvième siècle après quatorze ans de travaux et elle surplomb les hauteurs de
Staouali tout en donnant une vue sur la mer méditerranéenne. Les chrétiens y étaient minoritaires en ce pays musulman et il n'était pas surprenant qu'ils soient, parfois, victimes d'abus de pouvoir et de discrimination.
Bruno avait respecté sa planification, et les jours qui suivirent il dessina la statue construite à l'effigie de
l'Emir Abd Elkader, la grande poste, cet édifice conçu par deux architectes français,
Voinot et
Tondoire, dans un style
néo-mauresque et enfin, la cathédrale du Sacré Coeur qui avait une drôle de forme, on aurait dit une centrale nucléaire, oui c'est ça, une centrale nucléaire. Chaque monument avait son histoire, son peuple, son passé. Des cultures différentes qui venaient s'entrelacer pour ne former qu'un.
Les jours suivants, il avaient pris au moins cent clichés grâce à son appareil photo. Une panoplie d'images qui décrivaient le quotidien algérien. Ces femmes et ces homme archaïques qui, après quatorze siècles, s'habillent toujours en tenue de bédouins. Ces étudiants, habillés décontractés, qui rêvaient d'un avenir. Parmi eux, ceux qui réussissent ou quittent le pays ou même ceux qui, après tant d'années d'études, deviennent chômeurs. C'était une
Algérie encore jeune même après quarante ans d'indépendance et qui ne savaient pas où donner de la tête, entre archaïsme et modernité. Une
Algérie pauvre où le taux de chômage atteignait son paroxysme.