samedi 29 novembre 2008

Suite...

Ces jours là, il prit l'habitude de passer par le même chemin qu'il emprunta le jour de sa venue et en retournant vers l'hôtel il revenait vers ce cafétéria pour se reposer tout en prenant une boisson froide. Voilà trois fois qu'il fréquentait ce chemin et trois fois qu'il apercevait le concierge de l'hôtel assis sur ce banc public à attendre l'inconnu avec ce même regard de fou en tenant un bouquet de fleur à la main. Ça l'intriguait et il fallait se rendre à l'évidence, il mourrait d'envie de connaître les causes de ce comportement. En retournant à l'hôtel le lundi soir, le dernier lundi, il avait trouvé le proprio avec ses interminables comptes, et demanda:
- Monsieur, je voudrais vous parler au sujet du concierge.
Pas de réponse...
- Monsieur! Répéta Bruno à voix haute.
- Oui, oui, voilà! Répondit le proprio en mettant de coté ses lorgnon.
- Pourriez vous me parler au sujet de votre concierge?
- Ah Youcef? Vous l'avez aperçu dehors avec son bouquet de fleur?
- Oui en quelque sorte. Vous êtes sûr qu'il va bien?
- Oh, n'ayez crainte, ici tout le monde le connait. Il est cet bête diurne qui hante les rues d'Alger.
- Ah! Mais l'autre soir il m'avait l'air tout à fait lucide.
- Oui, Il est dans cet état depuis que sa compagne l'a quitté.
- Je vois. Sans vouloir indiscret... Il a de la famille?
- Oh...Prenez donc cette chaise et asseyez vous, je vois que vous vous intéressez à son histoire.

Eh bien son histoire commence il y a de cela dix ans, où du moins nos chemins se sont rencontrés il y a dix ans. C'était un jeune étudiant plein d'espoir et qui avait toute la vie devant lui. Youcef avait donc quitté son village natal, après avoir obtenu son bac, pour Alger afin de poursuivre ses études à la faculté centrale d'Alger. Il avait loué une chambre chez moi le temps qu'il règle la paperasse et finir ses inscriptions. N'ayant pas obtenu de chambre pour poursuivre ses études, je lui ai cédé une, en contre partie, il travaillait pour moi à son temps libre. Il était studieux, talentueux, charmant. Bref, tout pour plaire à une fille. Et c'était ce qu'il lui été arrivé. Selma, elle s'appelait Selma, et lui en était tombé fou amoureux, lui le plébéien, elle la fille du bourgeois. Ils vivaient une passionnante histoire d'amour et il n'était pas rare qu'il la fasse venir ici passer du temps avec lui. Un jour, elle dut partir pour la France, disant qu'elle devait ramené des médicaments pour son père malade, du moins c'est ce qu'elle avait prétexté. Le jour de son départ, je me souviens, Youcef était sorti d'ici à seize heures tout excité à l'idée de la retrouver. Il est parti acheter un bouquet de fleur chez le fleuriste qui est à la Grande Poste. Il avait l'habitude comme tout homme ponctuelle de ne jamais faire confiance à sa montre et arrivé là bas, il regarda sa montre et demanda au fleuriste l'heure. Il était dix-sept heures chez le fleuriste. Peut être qu'il se trompait pensait il. Il se retourna alors et demanda l'heure à un passant, idem. Par un moyen ou par un autre, il était en retard d'une heure. Que pouvait il faire? A part courir pour essayer de rejoindre sa dulcinée? Rien. Alors il prit d'un coup sec le bouquet de fleur qu'il n'avait même pas payé et commença à courir, traverser les rues, descendre les escaliers, bousculer les gens. Bref, il ne pensait qu'à ça, la rejoindre. Arrivé au port, le bateau qu'elle devait prendre n'était plus là... Elle était partie... Partie sans qu'il ne puisse la voir. Trois jours après vint le jour dit de son arrivé. Il n'avait plus droit à l'erreur, alors il était parti deux heures à l'avance, à attendre un bateau fantôme. Ce navire n'est jamais venu, elle non plus.

Il cru pour un premier temps qu'il lui était arrivé un accident, mais il n'en était rien, on n'avait enregistré aucun accident ces jours là. Il devint triste, accablé, il s'était mit en tête que si elle s'était enfuie c'était à cause de lui. Il s'était absenté une semaine, une semaine à boire et à essayer d'oublier cette fille, la cause de ses soucis. Après ce laps de temps il revint travailler ici. Depuis, il vivait infiniment ce jour là où il était arrivé en retard. Il passait par le fleuriste, courait, ne trouvait jamais le bateau et enfin il s'asseyait sur ce banc public. Les jours pour lui se succède et se ressemblent, c'était ainsi et c'est ainsi qu'il vit depuis dix ans. Parfois il revenait blessés, les vêtements troués à cause des chutes qu'il faisait toujours...
- Et...Et sa famille alors? Demanda Bruno.
- Sa famille? Ses parents ont essayé de l'emmener avec eux, ils avaient réussi, mais après trois jours il était ici, dans sa chambre....

Je continue donc. Après trois mois, Selma avait envoyé une lettre pour expliquer cette soudaine disparition. Dans l'état où il était je ne pus la lui donner tout de suite. J'ai pris le temps de lire. Elle disait qu'elle était enceinte de dix-huit semaines et qu'il était le père de cet enfant. Elle avait fuit son amour, son quartier, son pays pour ne pas subir l'humiliation que toute femme célibataire endurait en Algérie. Qu'ai je fait moi? Je ne lui ai jamais donné cette lettre. Peut être est-ce une erreur de ma part, mais j'endosse l'entière responsabilité. Il devenait tel un fils pour moi, j'ai de l'affection pour cet enfant, j'ai peur pour lui...

Des larmes venaient éblouir les yeux du proprio. Bruno s'excusa et prit le chemin de sa chambre, il devait se coucher tôt, demain il repartait rejoindre les siens de bonne heure. L'histoire qu'il venait d'entendre n'était pas chose courante, mais il ne fallait pas en faire tout un plat et après la journée qu'il vécu à photographier tout et rien, il se sentait fatigué. Il s'était blottit sur son lit et s'en dormit tout de suite.

Il prit le bateau de neuf heures et demie laissant derrière lui cette Algérie. Il était fier d'avoir enfin connu ce pays quitté la France par la force après que ce peuple algérien devint grand, un peu comme ces vieux souliers jetés car il deviennent petit pour nos pieds mais qu'on fini toujours par regretter après. Fier d'avoir connu l'amour de son grand père, un amour malade et désorienté qui ne sait plus quoi faire à l'image de Youcef qui perdit la raison après avoir été quitté par sa compagne.

Ps: Merci à Sonich pour la photo.
Ps two: Voilà Kamila, là je ressemble à qui? Bruno, Youcef ou M'barek?

2 commentaires:

Salim Berkoun a dit…

Ben définitivement t'es trop fort!!!!
L'histoire est bouleversante, t'as ton coeur qui bat pas possible quand le mec se rend compte qu'il est en retard..!!
Toi aussi tu m'as convaincu, j'vais m'abonner tiens!!

Muzzy a dit…

Je vote pour Bruno , tu es Bruno.

Et la suite est émouvante et simple ( Mais moi je m'attend toujours a des grans trucs mais la simplicité de la réponse quant au cas de Youssef n'est pas un probléme tant tu as amené cela avec poésie )

J'aime toujours autant ce que tu fais au passage :)
Et j'aime bien cet espéce d'ambiance lente et latente avec un le temps qui file étrangement ... C'est beau.

Continue :)